Copyright © 2019 Sorbonne Université, agissant pour le Laboratoire d’Excellence « Observatoire de la vie littéraire » (ci-après dénommé OBVIL).
Cette ressource électronique protégée par le code de la propriété intellectuelle sur les bases de données (L341-1) est mise à disposition de la communauté scientifique internationale par l’OBVIL, selon les termes de la licence Creative Commons : « Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 3.0 France (CCBY-NC-ND 3.0 FR) ».
Attribution : afin de référencer la source, toute utilisation ou publication dérivée de cette ressource électroniques comportera le nom de l’OBVIL et surtout l’adresse Internet de la ressource.
Pas d’Utilisation Commerciale : dans l’intérêt de la communauté scientifique, toute utilisation commerciale est interdite.
Pas de Modification : l’OBVIL s’engage à améliorer et à corriger cette ressource électronique, notamment en intégrant toutes les contributions extérieures, la diffusion de versions modifiées de cette ressource n’est pas souhaitable.
On pourra suivre commodément dans ce petit livre le débat qui s’est engagé parmi nous, l’hiver dernier, autour de la « poésie pure ».
Je rappelle que ce débat avait eu pour point de départ la lecture que je fis l’automne dernier de la séance publique annuelle de l’institut. Tout en rédigeant le mémoire qui, manifestement, ne ferait qu’effleurer un sujet aussi magnifique, aussi vaste, et qui exerce, depuis trois mille ans, la subtilité des philosophes, l’idée m’était venue de proposer aux « nouvelles littéraires » une série d’éclaircissements. Je comptais y calmer les inquiétudes que ma lecture ne manquerait pas d’éveiller chez les derniers dévots du rationalisme, et mettre à profit les critiques, les suggestions diverses qu’on voudrait bien me communiquer. Ainsi fut fait, pendant quelque douze semaines, pour la plus grande gloire, non pas du simple greffier que j’étais bientôt devenu, mais de la poésie d’elle-même, et de tous les métaphysiciens que l’on vit alors se passionner à la définir.
On trouvera donc ici avec le texte inévitable du discours sur la poésie pure, quelques fragments de cette correspondance, et les passages des éclaircissements qu’il a paru bon de conserver.
Plus que personne j’aurais désiré faire une place moins réduite à tant d’aimables inspirateurs, mais le malheur des temps nous l’a défendu.
Je comptais aussi profiter de la présente publication pour expliquer plus à fond les quelques lignes du discours où l’expérience poétique se trouve comparée à l’expérience mystique. Ce sera là, si on le veut bien, l’objet d’un nouveau travail.
Me voyant très embarrassé et comme perdu, au milieu de ce vaste chantier, et, d’ailleurs
pressé de revenir à mon travail ordinaire,
Je suis encore plus reconnaissant à er
février 1925. En fait de poésie et de critique poétique, je ne suis qu’un amateur ;
Deux équipes de travailleurs qui, sans s’être donné le mot, sans même se connaître,
commenceraient un tunnel, les uns du côté suisse, les autres du côté italien, et qui
auraient enfin la joyeuse surprise de se rejoindre au beau milieu du
Après quoi, est-il besoin d’ajouter que, l’un aussi indépendant que l’autre, chacun de
nous garde seul la responsabilité de ce qu’il avance. Ni sur
Devais-je conserver les pages des « éclaircissements » où il est question de
Oui, m’a-t-il semblé, mais abrégées le plus possible.
Quoi qu’en ait écrit ce délicat, mes pages n’évoquent pas l’idée d’un charretier en
colère ; elles visent d’ailleurs uniquement
Les modernes théoriciens de la poésie pure,
Prenons cette notion, au moment où elle traverse-oh ! Timide, incertaine et sur la pointe
des pieds ! — la cellule virgilienne du « Il y a encore, insinue-t-il d’un air gourmand-et cet
qu’il est encore loin de nous et qu’il en est près !encore est ici pour nous le mot capital, — il y a encore dans la
poésie de certaines choses ineffables et qu’on ne peut expliquer. Ces choses en sont
comme les mystères. Il n’y a point de préceptes pour expliquer ces grâces secrètes, ces
charmes imperceptibles, et tous ces agréments cachés de la poésie, qui vont au
cœur. »
Aujourd’hui, nous ne disons plus : dans un poème, il y a de vives peintures, des pensées ou des sentiments sublimes, il y a ceci, il y a cela, puis de l’ineffable ; nous disons ; il y a d’abord et surtout de l’ineffable étroitement uni, d’ailleurs, à ceci et à cela. Tout poème doit son caractère proprement poétique à la présence, au rayonnement, à l’action transformante et unifiante d’une réalité mystérieuse que nous appelons poésie pure.
Commençons par une expérience que nous faisons tous, mais, d’ordinaire, sans y prendre garde, quand nous lisons un poème. Pour que l’état poétique s’ébauche en nous, nul besoin n’est-ce pas, d’avoir pris d’abord connaissance du poème tout entier, même s’il est court.
primum graïus homo… ibant obscuri…
la phrase n’est pas finie ; ce qui va suivre, nous l’ignorons tout à fait, et cependant le
charme s’opère déjà. La première scène d’
Iphigénie est une ouverture, au sens musical du mot ; elle nous met,
si j’ose dire, en état de grâce poétique ; elle fait pénétrer en nous la poésie de toute
la pièce. Une toile de
L’action que produisent sur nous certains vers, ainsi détachés de leur contexte, est
également immédiate, soudaine et dominatrice. On est tout comblé ; on n’éprouve pas le
besoin d’aller plus avant. C’est là même ce qui rend difficile la lecture continue de tels
poètes, parmi les plus hauts, laissez-nous plus longtemps savourer les délices, tandis que nous crions à la
prose : marche !
Marche ! ad eventum festina, et si le dénouement tarde trop, ou de la
démonstration ou du récit, nous brûlons les pages.
Prose et poésie veulent des rites différents.
Lire le de natura rerum comme on ferait une thèse sur
Énéide le même plaisir que des trois mousquetaires, c’est pécher
Quoi qu’il en soit, pour lire un poème comme il faut, je veux dire poétiquement, il ne
suffit pas, et, d’ailleurs, il n’est pas toujours nécessaire d’en saisir le sens. Une
paysanne bien née s’épanouit sans effort à la poésie des psaumes latins, même non chantés,
et plus d’un enfant a goûté la première églogue avant de l’avoir comprise. Huit ou dix
contresens, disait
On ne sait pas, un homme de goût ne cherche même pas à savoir ce que signifie telle
chanson de
« Mes sonnets, confesse gaiement Je suis le ténébreux, — le veuf, — l’inconsolé, le prince
d’ Aquitaine à la tour abolie, ma seule « étoile » est morte, et mon luth
constellé porte le « soleil noir » de la mélancolie… la poésie populaire de tous
les pays, et
La strophe cristalline : «
Après la défaite de
Villeroy, Villeroy a fort bien servi le roi
Guillaume, Guillaume… comme effrayée de cette épaisseur
de sens, la poésie s’est envolée. Non qu’il lui répugne de se poser sur une épigramme.
Songez plutôt à l’indiscutable chef-d’œuvre :
Là-dessus, remarquez cette chose singulière : il semble que, pour s’accumuler et éclater
ainsi, le courant poétique ait eu besoin de rencontrer le nom de
La pensée n’y perdrait rien de sa pointe, mais l’étincelle ne jaillirait pas. Ainsi les
cigognes de
Il arrive même que, suivant le degré de l’inspiration poétique, le courant que nous avons
… solatur lacrymas : qualis berecynthia
mater… s’empourpre, dès que notre telle que sur son char la bérécynthienne…
attendons enfin que les philosophes de la poésie-raison nous expliquent, d’abord, pourquoi
le vers de et les fruits passeront la promesse des
fleurs est un des quatre ou cinq miracles de la poésie française, ensuite, comme il
se fait qu’on ne puisse toucher à la moindre lettre de ce vers sans le dégrader tout
entier. Ajoutez le poids d’un flocon de neige au troisième de ces divins anapestes : et les fruits passeront « les » promesses des fleurs, le vase est
brisé.
Ce vers a un sens — la récolte sera bonne — mais si indigent qu’on ne peut imaginer que
tant de poésie en découle. Et ceci est vrai d’une foule de splendides poèmes, à commencer
par les Géorgiques, mais à quoi bon prolonger cette analyse ? intelligenti pauca est donc impur — Oh ! D’une impureté non pas réelle,
mais métaphysique !
Impur, c’est trop évident, le sujet ou le sommaire du poème ; mais aussi le sens de
chaque phrase, la suite logique des idées, le progrès du récit, le détail des descriptions
et jusqu’aux émotions directement excitées. Enseigner, raconter, peindre, donner le
frisson ou tirer des larmes, à tout cela suffirait largement la prose, dont c’est aussi
bien l’objet naturel. Impure, en un mot, l’éloquence, entendant par là non pas l’art de
beaucoup parler pour ne rien dire, mais bien l’art de parler pour dire quelque chose. Et,
sans doute, le vers de
Réduire la poésie aux démarches de la connaissance rationnelle, du discours, c’est aller contre la nature même, c’est vouloir un cercle carré.
« ce serait peu de chose, avoue encore le classique
Mais encore, cette expression, ou vide de sens, ou dont le sens n’a que peu de prix, ou qui, même riche du plus beau sens, nous réserve des plaisirs inconnus à la raison ; ces mots de tous les jours et de tout le monde, par quelle métamorphose inouïe se trouvent-ils vibrer soudain d’une lumière et d’une force nouvelles, séparés de la prose pure, mariés à la poésie ?
Pourquoi tant chercher, répondent plusieurs, et parmi eux de hautes intelligences,
l’auteur de variété, par exemple ? La métamorphose s’opère, l’expression
devient poétique, le vers poésie, dès qu’une technique subtile et patiente, d’ailleurs
secondée par d’heureux hasards, est arrivée à capter, pour les orchestrer délicieusement,
les ressources musicales du langage.
Une plume experte fait chanter la page comme « un petit roseau… la forêt ». Le poète n’est qu’un musicien entre les autres. Poésie, musique, c’est même chose.
Je veux bien ; mais, la musique pure ne paraissant pas moins mystérieuse que la poésie,
je me demande si ce n’est pas là définir l’inconnu par l’inconnu. Que si, du reste, on se
flatte de nous donner ainsi une grande idée de la poésie,
Et puis, si toute poésie est musique verbale, comme j’en conviens, toute musique verbale
n’est pas poésie.
Nous savons tous des vers immortels qui n’ont de musique que ce qu’en exigent les règles de la prosodie. Il en est aussi, et beaucoup, dont nous ne vantons l’harmonie, d’ailleurs réelle, que dans l’impuissance où nous sommes de qualifier autrement leur étrange séduction.
Je crois donc qu’il faut renoncer à tout expliquer par cette assimilation paresseuse. Non
que nous entendions rompre, ce qu’à
Avec cela, comment se peut-il que, de ces profondeurs spirituelles, quelques mots mis en
leur place, le rythme, la rime, nous ouvrent soudain l’accès, et que le poète, s’il veut
faire passer en nous son expérience poétique, doive recourir à des moyens si grossiers ?
Eh ! Comment se peut-il qu’une âme immortelle dépende
Il semble toutefois certain que, dans cette collaboration paradoxale, les mots n’agissent
pas seulement et d’abord en vertu de leur beauté propre, pittoresque ou musicale. Nous
nous offrons à ces vibrations fugitives, si exquises d’ailleurs que soient leurs caresses,
non pour goûter le plaisir qu’elles donnent, mais pour recevoir le fluide mystérieux
qu’elles transmettent : simples conducteurs, plus ou moins précieux ou sonores, il importe
peu ; ou plutôt, conducteurs qui doivent leur sonorité même et leur splendeur éphémère au
courant qui les traverse. Vous vous rappelez les anneaux dont parle magnetis, non seulement les attire,
mais encore leur communique sa propre force attirante. Ce sont des talismans, ou des
sortilèges, des gestes ou des formules magiques, des charmes au sens premier de ce mot.
Simple harmonie et nouée au sens dans la prose, cette musique verbale devient, dès qu’elle
s’est imposée au poète, une véritable incantation.
« magie suggestive », disait
Magie recueillante, comme parlent les mystiques, et qui nous invite à une quiétude, où nous n’avons plus qu’à nous laisser faire, mais activement, par un plus grand et meilleur que nous. La prose, une phosphorescence vive et voltigeante, qui nous attire loin de nous-mêmes.
La poésie, un rappel de l’intérieur, un poids confus, disait an awful warmth about my heart, like a load of immortality. — amor, pondus.
— ce poids, où veut-il nous précipiter, sinon vers ces augustes retraites, où nous
attend, où nous appelle une présence plus qu’humaine ? S’il en faut croire
des éclaircissements ? Eh ! Comment n’en faudrait-il pas ? Ce n’est pas seulement le plus beau des sujets, c’est le sujet même de tous les sujets, ce qui reste à dire quand tout a été dit, ce que l’on sent bien que nul ne dira jamais. On ne définit pas la poésie pure. Faire comprendre pourquoi elle est indéfinissable, et que sa beauté essentielle est d’être indéfinissable, je n’ai pas cherché autre chose dans cette lecture sous la coupole.
Quand l’académie m’a demandé de choisir un sujet pour la séance publique d’octobre,
j’étais au bout du monde, en train de ruminer une préface pour le Paul
Valéry de
En voici le premier chapitre. Pour la composition des autres, je serais très reconnaissant à ceux de nos lecteurs qui me feraient l’amitié de me dire ce qui les aurait surpris, embarrassés, choqués même dans la rapide synthèse, fatalement un peu tranchante ou simpliste, de l’autre jour. Il s’agit bien d’humilier ou d’exalter ma chétive personne ! Ceux qui savent auront vu déjà que je ne fais que réunir, filtrer, orchestrer les pensées d’autrui.
Quel pavé me tombe là tout d’abord ! Non pas qu’il m’étonne : il était infailliblement
prévu… ne me vient-il pas de
Il souffre même de prendre ma religion en défaut. Eh ! Quoi ! Me criait-il un jour avec
une onction qui me toucha, oubliez-vous que scientiarum dominus — donc de
la raison ? C’est sa façon ingénue d’argumenter. Mais sans bassesse.
Il défend son petit panthéon, un peu vieillot ; ses petites idées, un peu sommaires ; mais il ne semble pas mêler au débat ses répugnances personnelles. Du moins, il l’affirme.
S’il lui arrive parfois d’être assez désobligeant, c’est à son insu.
La critique littéraire n’est pas son rayon.
Nous sommes tous d’accord là-dessus. Il lui manque le don premier, les antennes
spirituelles, le sens du mystère, la poésie. Même dans son ordre-« l’intelligence » — il
ne rappelle
Mais il a une certaine vigueur pesante et une simplicité épanouie qui ne sont pas sans agrément. Et quelle agile maîtrise ! Une lecture rapide, cinq minutes de méditation l’ont trouvé prêt à tirer mon discours au clair, à l’exposer, à le juger, à l’exécuter, et, ma foi ! Le mieux du monde.
Non qu’il ait compris, ce qu’à
Ni même qu’il ait confusément senti qu’il ne comprenait pas. Mais justement, il apporte,
il déploie à ne pas comprendre une justesse, une robustesse, une précision, une franchise
admirables. Il ne s’amuse pas aux menues querelles d’à côté, nigaudes, piétinantes, qui
laissent la vraie question intacte. Il tombe d’instinct, et de tout son poids, avec une
sûreté héroïque
temps sous les traits d’un féroce maniaque oscillant entre l’humour et
l’illuminisme.
Par moments toutefois je l’inquiète pour de bon. Hier je lui ai fait une grosse peur.
« éclaircissements. J’ai dit qu’il excellait à ne pas comprendre ; je dois le
prouver. Parce que je soutiens-et tout se ramène là, en effet-que poésie n’est pas raison,
il me reproche de « jeter l’anathème à la raison ». Non, pas plus qu’à l’oreille, quand
Prenons un autre exemple, et qui est ici plus qu’un exemple. Une série d’analyses m’ayant démontré que, d’une part, il n’est pas impossible qu’un théologien éminent manque tout à fait de vie religieuse, que, d’autre part, il se rencontre des âmes profondément religieuses qui manquent tout à fait de théologie, je conclus sans hésiter de ces deux séries extrêmes d’expériences, que religion et théologie cela fait deux, sans contester pour si peu les relations nécessaires qui existent entre religion et théologie. Ainsi de la poésie et de la raison : elles se distinguent toujours, elles s’ignorent quelquefois, elles ne sont pas ennemies.
Cette objection centrale, solaire, éblouissante, qui saute aux yeux, et que je n’avais
pas pu ne pas prévoir, c’est toute la philosophie de son article. Mais ce néant,
la
poésie, dit-il par exemple, doit être musique par l’élimination… recueillez-vous,
je vous prie… par « l’élimination du prosaïsme. » par où l’on voit que
Ayant écrit, il y a déjà longtemps, dans un mais tout au contraire, m’avait-il répondu, le goût « c’est la raison dégustant les
œuvres d’art » de même que l’athena promakhos, c’est la raison armée. voici plus
curieux encore, et plus pathétique : la poésie, déclare-t-il, s’ajoute à la
raison, mais ne la nie pas. tiens ! Tiens ! Si elle s’ajoute à la raison, c’est
qu’elle n’est pas la raison. elle est « plus que rationnelle » et non
irrationnelle. ce disant, comment ne voit-il pas qu’il vient de s’infliger, sur
l’autel du mysticisme, la plus abominable des mutilations ? Si la poésie est plus que
rationnelle, c’est donc que la raison n’est pas la seule lumière de l’homme. C.q.f.d. Avec
tous ceux qui lisent poétiquement les poètes, j’avais remarqué que, pour sentir le charme
d’un vers, d’un lambeau de vers, pas n’est besoin de connaître le poème où ce vers, ce
lambeau se trouvent. la fille de Minos et de
Pasiphaë
« exagération », me répond
Encore s’il observait les lois de son monde géométrique, les règles du discours de la méthode ; encore si, dans le domaine des faits tangibles,
palpables, il n’affirmait rien qu’à bon escient.
Est-ce à bon escient qu’il peut déclarer
Pour
Tour à tour et tout ensemble,
J’ouvre au hasard the poetic principle — et je traduis au galop. la grande hérésie moderne est de faire de la vérité l’objet suprême de la
poésie… entre poésie et vérité, nulle sympathie. Avec ce qui est indispensable au chant,
la vérité-autrement dit la raison-n’a rien à faire… folie de vouloir réconcilier
the oils and waters of poetry and truth. He must be blind indeed- il n’entend
rien à nos mystères, celui qui ne voit pas qu’entre le vrai, qui est l’objet de la
raison, et le poétique, il y a un mur, un abîme de différences — who does not
perceive the radical and chasmal marginalia redisent, de vingt
façons, les mêmes choses…
je m’étais bien promis de ne plus le lire, mais pouvais-je prévoir qu’il m’exterminerait une deuxième, une troisième fois, et jusqu’à une quatrième, et, à cette quatrième fois en anglais ?
Dans la deuxième réponse qu’il m’a fait l’honneur de m’adresser-réponse qui transpose
seulement sur le mode irrité les affirmations de son premier article,
parce que nous avons reconnu qu’il y a, dans la poésie, quelque
chose de plus que la raison, M
Bremond nous attribue cette concession que la raison ne serait pas la seule
lumière de l’homme. parbleu, s’il y a plus d’une lumière, il y a en bien au moins
deux.
Il continue : que d’équivoques ! La raison est la seule lumière
poésie, la beauté
s’ajoute à la raison, mais ne la nie pas et n’en est même qu’une illustration et un
épanouissement. je ne vois là que des mots, et qui ne veulent absolument rien dire,
s’ils ne répètent confusément ce que nous avons avancé nous-mêmes.
Si
« illustration… épanouissement ». Encore des mots, et qui pis est, des métaphores. Qu’est
cet épanouissement ? Le développement normal de la fleur au fruit ; de la philosophie de
Mystère ? On dirait que
Enfin savourez sa dernière ligne : «
qu’il sentait lui-même, trois jours après, la nécessité
un conducteur
de char en détresse : ce n’est pas notre faute s’il s’est embourbé. Au lieu d’injures,
on préférerait des raisons ; mais le plus bel académicien ne peut donner que ce qu’il
a. quel jour presque nouveau
Ainsi, pour n’avoir pas éclairci, résolu, épuisé, en dix pauvres pages, une question qui
reste en suspens depuis la poétique d’nouvelles. mon ambition n’a été que de provoquer, par un exposé rapide et
tranchant, la discussion autour d’un problème que je savais, que je déclarais d’avance ne
pouvoir jamais être entièrement résolu.
Passons sur la troisième extermination, qui démontre avec évidence que
New-York times book review du 29 novembre
1925. Il y résume, il y renforce pour l’étranger ses trois scolies antérieures. Je traduis
aussi littéralement que possible sur la traduction américaine, sans me
M. Bremond est un pur mystique. La raison est sa bête noire. Il ne veut
pour guide que l’inspiration d’en-haut. D’après lui, on doit expulser de la poésie toute
espèce d’idées, de sentiments et d’images. Il appelle tout cela « poésie-raison », et
préfère de beaucoup la « poésie-musique » — encore un de ces méchants mots qu’il se
plaît à forger ! — bien que celle-ci même, il l’estime insuffisante. Il tient que ce qui
provoque en nous l’état poétique, c’est uniquement le son du vers. Au sens, il n’attache
aucune importance. Il se trompe du tout au tout. (« he is absolutely wrong » ;
intraduisible en français poli…) enfin il conclut que la poésie pure consiste en un
« fluide mystérieux », qui transfigure les mots vides ou pauvres de sens, et qui nous
fait communier avec l’infini, ou même avec Dieu. Personne, par malheur, ne
sait de quoi est fait ce « fluide mystérieux », et personne ne croira jamais que, pour
communiquer avec ses créatures, Dieu ait recours à des mots vides de sens.
Suppression de toute activité intellectuelle, le mysticisme, tel que le conçoit
M. Bremond… ceci est une concession aimable et en quelque sorte,
patriotique, aux susceptibilités américaines en matière religieuse. Mieux vaut, en effet,
qu’on ignore là-bas la vraie pensée de l’illustre critique du
Le mysticisme donc, tel que
mènerait droit aux gouffres du matérialisme. Quoi, en effet, de plus matériel que des
mots « vides de sens » ou qu’un fluide, tout voisin apparemment de l’électrique ? Non,
non, ce ne sont pas des courants électro-magnétiques qui donnent aux mots leur valeur de
poésie, c’est l’harmonie immatérielle et rationnelle de la musique verbale et de la
pensée ! voilà un « correspondant » modèle, et une
Auprès de ces grands mots, la chanson
Avec cela, je n’ai pas besoin de rassurer nos amis d’l’étoile verte de Chicago a publié, dans son numéro de noël, une
traduction de mon discours. On a pu y constater dès les premiers mots que
Usant d’une métaphore commode-laquelle, après tout, n’en déplaise à l’
immatérialisme éthéré de
En face des deux textes que voici : « apprehendit — le sens de ces mots :
Bref, elle fait son métier de raison : elle comprend.
Voudriez-vous qu’elle se pâmât ? Ce n’est pas dans ses moyens. Si donc l’expérience nous
montre que la première de ces phrases, une fois comprise, nous laisse dans notre état
normal, au lieu que la seconde, une fois comprise, elle aussi, et même, selon moi, avant
qu’on l’ait comprise pleinement, fait passer en
Que dis-je : ne l’ai-je pas beaucoup mieux comprise, ayant épuisé d’abord et assez vite
le sens très précis, très limité qu’elle renferme ? Sur un homme qui ne serait que raison,
ces deux phrases produiraient le même effet, à cela près qu’il trouverait une satisfaction
plus entière dans la première que dans la seconde. Me direz-vous que le contexte ajoute un
certain halo comique à la première, mélancolique à la seconde ? Oui, sans doute, et voici,
de ce chef, proposée à ma raison, une nouvelle série d’exercices, plus compliquée que
l’ancienne, mais du même genre. Elle cherchera, par exemple, à expliquer pourquoi
Mais elle ne rira pas. Comment ferait-elle ?
Par définition, elle est celle qui comprend, non celle qui rit. Intelligente-et juste
ciel ! Que serait-elle si elle ne l’était pas ? — elle arrivera ensuite avec plus ou moins
de peine à saisir que
Elle ne saurait. Allons plus loin : si, au lieu de constater que ces anciennes dames n’ont pas laissé plus de traces de leur passage ici-bas que les neiges de l’an passé, il s’agissait pour la raison de donner son adhésion motivée à ces deux notions reliées par un verbe : je vais mourir, elle ne frissonnerait pas davantage.
Mais gardez-vous bien de lui reprocher son apathie. Si elle manque à ce point d’humour, de tendresse, de poésie, c’est tout bonnement, d’une part, qu’elle a pour unique objet l’intelligible, et que, d’un autre côté, l’intelligible, n’est ni amusant, ni émouvant, ni poétique. Il est ce que la raison peut comprendre, contrôler, construire, déclarer vrai ou faux dans une phrase donnée ou dans un système de phrases.
Qu’elle s’attaque au poème le plus lyrique, je la défie bien d’y découvrir un atome de
couleur, d’émotion, encore moins, s’il est possible, de poésie. Elle n’y verra qu’une
suite de jugements ; trente, cinquante affirmations ou négations. Ces
Un jour, j’accompagnais le bon archevêque d’pascendi, qu’il a juré, ce matin, de mettre en tableau synoptique. « c’était bien
cela, en effet. Quand il nous eut rejoints, le digne homme, étalant son petit papier,
zébré d’accolades, répétait triomphant : « elle est toute là » ! Aux yeux de la raison, un
poème n’a rien qui le distingue essentiellement d’une encyclique. Il est comme elle, et il
ne peut être qu’une suite d’affirmations ou de négations. Mettez l’iliade en tableau
synoptique, — rien de plus facile ; et, quand vous aurez fini, dites hardiment : « elle
est toute là. » le reste, le concert, la couleur, l’émotion, la
Laissée à elle-même, et telle qu’elle se présente à l’examen de la raison, une œuvre,
quelle qu’elle soit, n’a rien de poétique ; elle n’est qu’un tissu de jugements, et l’on
sait bien que tout jugement, même porté sur des choses concrètes, est abstraction, que
toute abstraction est prose. Encore un mouchoir rouge tendu à
Qu’on me pardonne cette débauche de dialectique autour d’une poignée de truismes ; elle
m’a paru nécessaire. Oh ! J’entends bien que
une splendide lettre que j’ai reçue de
testaments de
Pour faire le tour de son domaine, un propriétaire n’a pas besoin de consulter le plan
cadastral. vous parlez de poésie pure, me dit-il, et je n’en connais pas
d’autre, du moins digne de ce nom. à merveille. Voilà en effet ce que j’aurais dû
affirmer d’abord, au lieu de le réserver pour notre CCeéclaircissement. il y a toujours du pur et de l’impur dans un poème ;
mais la poésie elle-même, ou elle est toute pure ou elle n’est pas. Dès qu’elle paraît,
elle poétise, si l’on peut dire, elle divinise les éléments tout lui est rythme, dit-il encore,
rythmes de pensées, idées, images, sentiments, sensations, « tout qui est un au
fond. » certes oui ! « tout qui est un », ou plutôt qui devient un, dès que la
poésie s’en est emparée, comme tout devient rose au crépuscule du matin. Avant cette
aurore, avant cette sorte de transmutation ou de mainmise, tous ces éléments appartiennent
à la prose ; après, ils sont poésie.
Et si, comme il arrive trop souvent, l’action unifiante du courant poétique vient à
s’interrompre, ces divers éléments retombent aussitôt dans leur impureté congénitale.
Ainsi pour la plupart des transitions dans les poèmes narratifs ou dans les odes
pseudo-classiques. nunc pater aeneas est prose pure. il est
temps de passer au funeste moment où la triste Vénus doit quitter son
amant. cette rapide platitude, écrit Valéry, est un signe très apparent de
la fatigue. plus que fatigue, c’est la maladie du sommeil.
Le courant ne passe plus. il est vrai que, dans les vers, tout ce qui est
nécessaire à dire est presque impossible à bien dire. voilà du il est temps de passer au funeste
moment… notez-le bien : ce que nous reprochons à ce vers, ce n’est pas, à
proprement parler, sa laideur. il y a, écrit J. Boulenger, de
« beaux vers » qui ne sont pas poétiques… car ce n’est pas l’éloquence…, ce n’est pas
même la seule beauté de l’image qui fait le caractère proprement poétique du
vers…
Mais revenons à la prose étincelante de
(tandis que le roman, l’histoire même, et autres, décrivent des êtres et
des choses), la poésie est l’art et la science d’exprimer les rapports des êtres et des
choses comme seraient, mais de façon moins essentielle, (l’architecture) et la musique.
cela situe la poésie au-dessus de tout, (avec les mathématiques. Elle est une
méta-mathématique)… etc :
entrepénétrer les éléments de leur analyse,
m’offrent la première belle occasion d’éclaircir ma pensée. Car avec les poètes, comme
trop souvent avec les critiques professionnels, — nous venons assez de le voir, — l’on n’a
pas à craindre de piétiner sur place, de rester en deçà de son sujet.
Ces pages de
Vous avez reconnu au passage, et salué avec plaisir la vieille théorie évidente sur la poésie créatrice de rapports nouveaux. Et moi comme vous. Mais des rapports de ce genre, la prose peut en créer à chaque minute. Et qui sait ?
Plus la poésie serait haute moins en créerait-elle.
C’était l’avis de pathetic fallacy (modern painters, III). à l’origine de toute activité poétique,
c’est l’expérience poétique elle-même, l’impression,
l’inspiration, la saisie immédiate et massive de ce réel qui échappe à la
prose. de réflexions sur la poésie où il distingue, beaucoup mieux que j’appelle ces lignes de la prose
rimée ; je répugne invinciblement à les appeler de la poésie. Je ne suis pas le seul. Et
la question n’est pas nouvelle. qu’elle ne soit point encore résolue, cela marque la
pente naturelle de certains esprits à prendre le signe pour
les
apparences… etc : et mon fervent correspondant ne croit pas comme
assis au milieu du jardin, devant ce ciel et ce
feuillage, face à face avec l’amour ou avec la mort, sous cette nuit étoilée, face à
face avec Dieu ; si j’écarte un instant toute pensée, et si je me recueille
en silence, je sens se mêler à moi tout un monde confus de formes, de couleurs, de sons,
de parfums, de présences ; … etc :
Ceci, en revenant à le vers de Victor
Hugo-« l’ombre était nuptiale… » témoigne combien la poésie constitue un idiome
à part de tous ; où les mots, à travers leurs sens usuels, révèlent un sens nouveau,
inédit, supérieur, surnaturel et nécessaire. s’ils ne faisaient que nous révéler
« un sens nouveau », cette révélation n’aurait rien de « surnaturel », de poétique. La
plus prosaïque des métaphores en fait autant. Il y a bien là, certes, du nouveau : il y a
le passage du mystérieux courant que nous avons dit…
répétons-le : ce que j’affirme ou ce que je nie, des milliers de poètes, de critiques,
de philosophes l’ont affirmé ou nié avant moi et souvent dans les mêmes termes. Si bien
qu’à la fin de chaque paragraphe, j’aurais pu écrire, comme opinion du 7 novembre : inutile d’insister… ; il
serait trop facile d’accumuler des exemples, mais ceux qui ne savaient pas d’avance ce
que nous venons de dire, ne le comprendront jamais. non, pas d’autre originalité
que d’ordre dialectique ou pédagogique ; rien de neuf, sinon l’imprévu, le coupant de
certaines formules ; la disposition que je donne à cette série de je ne dis
pas l’identification
-entre l’expérience poétique et l’expérience mystique.
Tôt ou tard, nous reviendrons à ce rapprochement entre la poésie et la mystique. Pour
l’instant, le débat tend de plus en plus à se limiter à la partie négative de notre
synthèse. Et c’est mieux ainsi. parmi les idées
de M. Paul Valéry, écrit-il, il en est une qui a eu une grande fortune…
c’est dans l’avant-propos à la connaissance de la déesse.
M. Valéry a fait remarquer que les plus grandes œuvres versifiées de la
race latine appartiennent à l’ordre didactique ou historique et « empruntent une partie
de leur substance à des notions que la prose la plus indifférente aurait pu recevoir. on
peut les traduire sans les rendre tout insignifiantes. c’est qu’elles ne sont pas
purement, exclusivement poétiques. Pour
Mais ce que nous disons des idées, il faudra bien le dire et des images, et des sentiments, et jusqu’à un certain point de la musique verbale elle-même. Aucun de ces éléments, pris en soi, et séparé du courant poétique, n’est poésie.
Et voilà de belles difficultés qui nous attendent.
Il en est de formidables, mais pas assez, je l’espère, pour m’empêcher d’arriver enfin à mes conclusions mystiques.
Avant d’aborder la critique de détail, je voudrais qu’on me laissât présenter ces
quelques vues d’ensemble sous un jour nouveau, et d’une manière moins abstraite. Ce sera
toujours la même synthèse. de Virgile à Paul
Valéry, avais-je pensé écrire un jour. Pourquoi
Mais, de ce fait, le poète, chez lui, se trouverait finalement en désaccord avec le théoricien.
Et vice versa. il se serait aventuré parfois à relever de sa main
droite l’idole qu’avait renversée le petit doigt de sa main gauche. On l’a cru, il l’a cru
peut-être, car tout homme est pervers. Pour moi, je ne le crois pas, ou ne le crois qu’à
moitié. Cependant, si haut que je le place, je ne reconnais pas à
On voit pourquoi, aussi antisentimental qu’il pût être, et encore plus paraître, aussi
hostile qu’il fût à toute mysticité, il était précieux de ne pas l’écarter de ce débat :
il est en effet une preuve vivante de ce que l’intellect est impuissant à détruire, même
quand on pense aboutir,
Appliquons à
« grands jeux », mais dramatiques. Un désastre obscur les menace constamment. C’est le
drame assez fréquent dans l’ordre religieux, beaucoup plus rare chez les poètes, du
croyant, qui coupe une à une les racines toujours renaissantes de sa
foi-
Car
Semblable, qu’il me pardonne, à ses frères inspirés, bien qu’il raille l’inspiration, ou qu’il la piétine.
Le conflit entre les deux démons de la poésie et de la prose est poussé chez
soirée avec Monsieur Teste :
j’étais affecté du mal aigu de la précision, je tendais à l’extrême du désir insensé de
comprendre.
« mal » et folie : il le sait donc bien, mais il se complaît dans ce crime fou. je suspectais la littérature (parbleu !) et jusqu’aux travaux assez précis de
la poésie. l’art est toujours précis : la précision la plus savante et rigide, au
service de l’imprécis.
Vous entendez bien que ce qui lui rend les techniques suspectes, c’est l’ineffable, c’est
la poésie qui tâchent de s’épanouir par elles. on sait bien, par exemple, que
les conditions de la lecture littéraire sont incompatibles avec une précision excessive
du langage.
Le langage poétique aussi bien que l’autre.
Mais il a ceci de particulier, de divin que sa précision elle-même a pour but unique
d’ouvrir, aussi grandes que possible, les portes du mystère. Précision honteuse de soi,
inquiète, bégayante, opposée à la précision satisfaite, triomphante, définitive de la
prose. La lecture poétique commence au point précis où s’achèverait la lecture prosaïque.
l’intellect volontiers exigerait du langage commun des perfections et des
puretés qui ne sont pas en sa puissance… je rejetais non seulement les lettres mais
encore la philosophie presque tout entière parmi les choses vagues et les choses impures
auxquelles je me refusais de tout mon cœur…j’étais fort de mon désir
infini de netteté. c’est ici la tentation à son paroxysme ; le « grand refus » du
don poétique sur le point d’être consommé ; l’« intellect » narguant la fine pointe de
l’âme ; la prose elle-même bafouée comme encore trop semblable à la poésie.
Non, je ne crois pas qu’on puisse imaginer d’opposition plus tragique, ni en apparence plus irréductible entre un vrai poète et la poésie.
-l’inspiration et la fabrication : dans son étude sur
« Il y a les poètes qui savent faire des vers parce qu’ils sont poètes ; et il y a les poètes qui sont poètes parce qu’ils savent faire des vers. "
nouv. Rev. Française,
1er janvier 1926.) qu’en devons-nous penser ?
Il y a dans les vies des pères du désert une jolie histoire que
Là-dessus, le moins pacifique des deux, fronçant le sourcil, met la main sur le petit banc de pierre où ils avaient coutume de se reposer côte-à-côte. — « ce banc est à moi, fait-il de sa voix la plus caverneuse. — non, il est à moi, bégaie le plus doux. — par ma barbe, il est à moi, reprend l’autre. — mais bien sûr », consent le second. Et leur querelle prit fin.
Ainsi de nous deux.
C’est un de mes chers soucis. En attendant, essayons de nous disputer. il
s’agit, commence-t-il, d’un problème de critique littéraire, non de dogmatique ou de
critique philosophique… nous sommes critiques. Nous avons devant nous une masse de
poésie faite, et nous nous demandons ce qui, dans cette poésie réalisée, peut répondre à
la notion de poésie pure. si j’avais sa prodigieuse virtuosité d’analyse, je n’en
finirais pas de déchiqueter ces premières
Nous faisons ici figure, non de critique, mais de philosophe. à travers le particulier
qui nous est soumis-un poème quelconque-nous voulons atteindre l’universel ; de
l’impression produite par ce poème nous voulons tirer une loi qui s’applique à tous les
poèmes. Comment mignonne, allons
voir…, m’oblige-t-il à lui rappeler ces évidences ?
La poésie pure étant ce par quoi le poétique se distingue du prosaïque, il va de soi que
la réalité mystérieuse qui répond à la notion de poésie pure, doit se retrouver à un degré
quelconque dans toute œuvre vraiment poétique, passée, présente ou future. Chaque poème
est une création originale, qu’on n’avait pas vue encore : qu’on ne verra pas deux fois ;
mais l’idée même de poésie est universelle, comme l’idée d’homme ou d’oiseau. Il y a des
milliers de poèmes, il n’y a qu’une poésie, principe unique, raison dernière d’une
expérience indéfiniment diverse, mais qui présente constamment les mêmes caractères
aisément reconnaissables : cet éblouissement, ce frisson, cette émotion, délectable,
certes, mais en même temps si profonde, si voisine de l’émotion religieuse, que nous avons
conscience de l’avilir en l’appelant volupté. Toute œuvre qui nous procure cette émotion
est poésie, au sens propre de ce énéide comme le
corbeau ; la vigne et la maison comme l’ après-midi d’un faune ; le cimetière marin comme les abeilles du manteau. nous sommes tous d’accord là-dessus, un seul
excepté.
Le terme de poésie pure, écrit s’applique à deux
provinces de la poésie française, entre lesquelles il ne me paraît pas que
M. Bremond… ait distingué suffisamment. suffisamment ! Mais j’espère
bien n’avoir pas distingué du tout. L’eussé-je fait, si peu que ce fût, je n’oserais plus
me montrer. Dresser la carte de nos plaisirs, c’est l’affaire du critique ; la philosophie
ne connaît pas de frontières.
(parbleu !). Et s’il est permis de condenser en théorie les abondantes
réflexions de Lamartine sur la poésie…, etc :
Plus il m’en donne, moins je suis content.
Revenons à notre point de départ qu’il a si nettement marqué lui-même, mais pour l’oublier aussitôt.
De quoi s’agit-il ? Du poète lui-même pris en soi et de l’état poétique ; ou, en d’autres
termes, du phénomène que l’on appelle inspiration et que l’on attribue à « un génie qui
souffle du dehors » ? Non, pas du tout, ou du lutrin.
bref, nous n’étudions ici — faut-il que je l’apprenne à
L’enseigne de l’usine, la complication ou la simplicité de ses rouages, le tapage ou le murmure de ses forges ; nous abandonnons ces particularités, ces accidents, à la critique littéraire.
Pour nous, philosophes, tout poème est quelque chose de fabriqué, tout poème un
fabricant ; inspiré ou non, peu importe pour l’instant. à coup sûr, quelques-uns le sont.
D’où je conclus triomphalement que l’idée de fabrication se trouvant nécessairement liée à
l’idée de « poésie faite », on ne peut soutenir, sans une malice criminelle, que l’idée de
fabrication s’oppose « violemment » à l’idée d’inspiration. Ce que la nature même des
choses a étroitement uni,
Ces deux idées, non seulement ne se combattent pas, mais encore elles s’appellent, elles
ibant obscuri sola sub nocte per umbram…
en imaginer deux, comme le veut démysticiser, du même coup, et le lac et
le cimetière marin. que cherchent-ils l’un et l’autre.
De cette expérience, toute passive au début, naît le conflit. Le don qu’elle nous apporte
«
D’ailleurs, autant d’appels différents, autant de réponses, mais chacune d’elles doit se mouler en quelque manière, sur l’expérience initiale qui l’a provoquée ; elle doit prolonger cette expérience, la féconder, la renouveler, en un mot, la faire passer de la pointe à la surface active de l’âme. Et cela, je le répète, de bien des façons : amour, dévouement, commencement d’une vie morale plus haute, initiatives de tout genre et dans tous les ordres de vocations ; adaptation, héroïque souvent, mais toujours laborieuse, de tout l’être au modèle que l’inspiration lui a montré.
Au poète, on ne demande pour toute réponse que des mots. Et c’est là, fort curieusement,
ce qui le distingue des autres inspirés. Mais des
La haute contemplation des mystiques est silence, comme l’amour, comme l’héroïsme.
Elle ne s’exprime au dehors que par des efforts généreux vers la sainteté. Si plusieurs d’entre eux éprouvent, au sortir de l’extase, le besoin de parler ou d’écrire, c’est zèle de propagande chez les uns, chez les autres, pure faiblesse.
Quoi qu’il en soit, les mots qu’ils emploient ne sont pas, si l’on peut dire, en fonction de leur expérience ineffable ; simples signes qui la rappellent confusément, mais qui, loin de la reproduire, de la rendre communicable, la défigurent plutôt. Ils ont mieux à faire que d’écrire : le poète, en tant que poète, n’a rien autre à faire. Ses mots dépendent étroitement de l’expérience poétique elle-même ; ils ne s’en distinguent pas ; aussi longtemps que cette expérience ne s’achève pas en un poème, elle est incomplète, disons mieux, elle est manquée ; tout comme serait manquée une inspiration héroïque qui ne se dénouerait par aucun geste.
Dans n’importe quel poème, inspiration, fabrication, cela ne fait qu’un. Que le poète le
sache ou non, définir, peindre, émouvoir, choisir et disposer ses mots, tout cela n’est
pour lui qu’un moyen de se libérer de la force mystérieuse qui le vers, écrit encore Thibaudet, ne dépasse pas le fini par
l’indéfini, mais par le définitif. formule parfaite et que je fais mienne, mais en
donnant au mot : définitif, un sens tout différent de celui qui obsède et qui égare
Il en va de même pour les mots qu’emploie le poète, et c’est uniquement par là qu’ils se distinguent des mots de la prose.
La raison géométrique trouvera les vers de
C’est bien là d’ailleurs, l’unique objet que poursuivent inconsciemment ces hallucinés de
la technique dont nous parle
encouragements, confirmations motivées, suggestions de tout genre, contradictions, injures-oh ! Celles-ci peu nombreuses, mais de grand style ! — je ne puis songer à publier ni même à discuter les articles, les lettres qu’a provoqués jusqu’ici notre enquête magnifique.
Le simple cortège de ces correspondants et de ces critiques couvrirait des pages et des pages.
Il y a là, venus de tous les coins du pays, de
Les symbolistes ont semé dans les larmes ; ils moissonnent dans la joie.
Je lis et relis ces lettres, que je dois renoncer s’il ne tient qu’à moi, à examiner une
à une, mais dont aucune ligne ne sera perdue. En attendant, je voudrais mettre un peu
d’ordre parmi ces réactions diverses, faisant mienne l’austère épitaphe que notre nouvel
académicien, transiit classificando. soit quatre catégories : la réaction bourgeoise et la réaction artiste, la réaction scientifique et la réaction rationaliste. donnons quelques
minutes d’attention à chacune d’elles. la réaction bourgeoise. — plus
sourde, mais aussi plus douloureuse, j’appelle réaction bourgeoise
-écartons philistine comme peu courtois-celle du monsieur qui ne veut
pas, si l’on peut dire, qu’on le fasse « marcher », « monter à l’échelle ». Beaucoup
d’autres synonymes et encore plus verts, tant cet état d’esprit est répandu. Famille
innombrable, et, en quelque manière, auguste. Depuis le second jour du monde, ils sont là,
persuadés que toute originalité se moque d’eux. delenda. Avant
Fort heureusement, du reste, car ils ont à remplir une mission providentielle : défendre,
contre les barbares, d’un côté, et, de l’autre, contre les génies trop pressés,
l’indispensable gâteau de routine (cake of custom), dont parle l’auteur
de physics and politics. les photographe — le jeune
Voici un des derniers instantanés : il ne s’approche d’une langue, ou d’une
idée que s’il la croit bien morte, et qu’il la voit momifiée dans une vitrine et que ça
ne peut plus mordre ; et il s’en approche sur la pointe des pieds. deux professeurs
de faculté-l’un et l’autre écrivains de marque-me reprochent d’admirer vous, mon cher ami, clair
esprit de Provence, fils de Mistral, admirer, défendre les
obscurités prétentieuses, les subtilités torturées d’un Paul
Valéry…
Ces quelques lignes, si franches, si cordiales dans leur amertume, trahissent le mieux du monde les causes principales de la réaction que j’ai dite. Dès les premiers mots paraît l’invincible confusion qui offusque tout le débat : ce paralogisme du « tout ou rien ».
" vous admirez
Ils ne doivent pas nous gâter nos plaisirs.
La question unique n’est pas de savoir si patience, patience,
patience dans l’azur… c’est presque aussi douloureux-non, pourtant ! — que
l’horrible chose par où débute l’ art poétique de
Vous dites que la grande poésie « est accessible au plus humble ». Allons donc ! (du
moins la poésie dite savante, qui d’ailleurs est encore plus littéraire
ou conventionnelle que savante).
Les humbles font grande la poésie parfois lamentable qui les enchante : ils la
recouvrent, pour ainsi dire, ils la transfigurent de leur poésie à eux, qui vaut certes
bien la nôtre, mais qui ne cristallise pas autour des mêmes points. Parleraient-ils latin,
Un paysan,
La fin de cette lettre désolée nous dit leur pauvre secret : cette peur du « bateau », si
j’ose encore m’exprimer ainsi. Ils croient, dur comme fer, à quelque mystification
organisée par une dizaine de pince-sans-rire, propagée par une centaine de gobeurs. Les
noms changent, mais l’aventure est toujours la même. Ainsi
Moins elle est impure, plus elle étonne, choque, exaspère, non pas les humbles, mais les
lettrés, et, entre ceux-ci, les faiseurs de vers. On se moque de nous, tremblent-ils, et,
ma foi, ils ont après tout raison. La poésie est la sœur germaine de l’humour ; dans tout
vrai poète, un mystificateur sommeille. Malheur à lui et à nous s’il ne se réveille
jamais ! — ce fut le cas hélas ! Du sublime ironie de Sophocle ;
Eh ! Oui ! Tout poète se moque de nous, mais en se moquant d’abord de lui-même.
Suavement, d’ordinaire, et sans qu’il y paraisse trop. Aussi, pour que ne s’affadisse
pas, au moins dans l’âme des poètes, le sel indispensable de l’humour, paraissent à point
nommé les
Humour multiforme et, par définition, toujours imprévu. C’est lui qui, fatigué de la
mascarade néo-classique, a présenté à
Plus leur poésie est prose, plus ils la croient poésie. la réaction
artiste. — ni l’inspiration ne suffit, ni la lime. Je ne m’étais pas attardé à
amplifier cet axiome. Ce qu’pour rien tel premiers
vers », laissant à notre industrie le soin de « façonner le second ».
Paul Valéry, m’écrit Fagus, croit à l’inspiration, au vers
initial jeté comme un coup de dés par le hasard des dieux. Les dieux ne nous donnent
rien. on leur arrache…. etc : pourquoi fallait-il qu’elle se laissât saisir ?
Parce qu’il est
Puisqu’il est aussi ferré que moi sur le catéchisme, violenti
rapiunt, à qui nous l’offre ? qui coronando merita, coronas dona
tua : en couronnant, seigneur, nos mérites, ce sont vos propres dons que vous
couronnez.
je trouve au coin d’un bois le vers qui m’avait fui. ce n’est là toutefois
qu’une parabole, un conte de fées.
Il faudrait pour cela qu’ils fissent eux-mêmes des vers, et il n’en font pas. Pas plus
qu’ils ne font de syllogismes ; pas plus que les anges ne jouent du piano. Ils nous
donnent beaucoup mieux : ce je ne sais quoi qui transfigure en poète un pauvre homme pétri
de prose, qui l’élève à l’état de grâce poétique, et qui, ainsi métamorphosé, l’incite à
fabriquer, marte sua, le premier et le second vers. L’inspiration ne
ressemble pas à la dictée d’un maître d’école ; elle n’est pas transmission d’idées, de
sentiments, d’images, de rimes.
la poésie, a dit Derême, c’est à la fois le cheval
et la bride-(l’inspiration et la lime) — et non point le cheval sans la bride, ni la
bride sans le cheval. et
Valmajour avait médité sur les trois trous de son flûtiau autant, mon dieu,
que Newton sur la gravitation des mondes. Ainsi, dans ces ordres, ou
infime, ou sublime, « il n’y a pas eu inspiration… » mais la résultante d’une longue
opération de l’esprit.
Je l’ai dit et le redis. Mais qu’elle intervienne seule, ou même qu’elle ait une part
prépondérante dans les trouvailles du génie, voilà ce que le poète, dit-il encore, est un
individu lucide.
ainsi cette diablesse de raison arrive à faire déraisonner les poètes eux-mêmes. Sa tyrannie a beau leur avoir joué les plus méchants tours, ils acceptent qu’elle rentre par la fenêtre, après que, poétiquement, ils l’ont mise, non pas à la porte, mais à son rang, dehors, de gardienne, pour employer le terme noble.
Et cela s’explique très bien : elle les prend par l’amour-propre. Des enfants, nous ? Ah, non !
Tel est le secret de the philosophy of composition que tant de naïfs
prennent au tragique.
Deux groupes : les triomphants ; les honteux.
Je n’inquiète que leur esprit, qu’ils pensent que je rêve d’étrangler. Mais non, il m’est précieux, lui aussi. N’est-ce pas à lui que s’adresse ma dialectique, uniquement désireuse de le convaincre qu’il s’appauvrit, s’avilit, se détruit lui-même quand il essaie de congédier son âme ?
D’un pauvre presbytère de campagne, où il « enchante ses heures de profonde solitude, en méditant les mystiques et en s’oubliant dans les poètes », un prêtre me fait le grand honneur de m’écrire :
… « la fille de Minos… », je ne suis pas insensible à la
musique de ce vers ; mais le charme ne provient-il pas de l’évocation d’un passé
mystérieux ?… le mystère de l’écoulement des choses ?… oui, sans doute, mais
l’incantation, pure et simple, a commencé. Le fond de l’âme a frémi d’abord, puis ce
frisson a gagné la surface active. Bien qu’elle se forme dans notre zone profonde,
l’expérience poétique, comme, d’ailleurs, l’expérience mystique, met en branle toutes nos
facultés, et jusqu’à nos sens. Pensées, images, sentiments, c’est une série indéfinie
C’est toujours le même scandale : on pense que nous sacrifions aux troubles lueurs de
l’instinct les précisions lumineuses de la raison, et que, sous le nom de poésie pure,
nous voulons glorifier le pathos, le vague, l’obscur, l’infra-rationnel, « l’obscène
chaos » où se débattait la conscience avant le fiat lux de
l’entendement. Non, mille fois non !
La connaissance particulière que nous étudions chez le poète ou chez le mystique, n’est
pas infra, elle est supra-rationnelle ; raison supérieure, plus raisonnable que l’autre.
Loin d’être le rêveur, ou l’illuminé, ou le niais que vous pensez que nous exaltons, il
est « intelligent » et il l’est même deux fois : d’abord, à la manière de tout le monde,
formant, assemblant et dissociant des concepts comme vous et moi, bien ou mal, selon qu’il
est plus ou moins doué de ce côté-là ; il l’est encore d’une autre façon, et plus haute,
son expérience proprement poétique lui permettant de dépasser l’ordre abstrait des
notions, des raisonnements, et d’atteindre
c’est le bon sens, la
raison qui fait tout : vertu, génie, esprit, talent et goût. mais cette erreur
fondamentale, que l’ensemble de nos éclaircissements tend à combattre, il l’aggrave d’un
contre-sens plus chétif et qui ne touche que moi. Non content d’estimer, que la raison
« fait tout » dans les vers, de natura rerum, la divine
comédie, les méditations.
Notre sujet-la poésie pure-le veut ainsi. Dans le concret, poésie, raison, sentibilité, etc., etc., tout cela ne fait qu’un seul être vivant : le poème.
Cependant ce qui est vrai de la poésie, considérée par un effort d’observation, dans sa
pure essence, n’est plus également vrai de l’œuvre infiniment complexe où cette poésie se
trouve réalisée. Il y a, dans tout poème, des éléments divers-pensées, images,
sentiments-qui, pris en soi, et si on pouvait les isoler, appartiennent tous à la prose
pure ; traversés par les mystérieuses vibrations que nous avons dites, ils deviennent
poésie. Est-il donc si difficile de comprendre qu’un poète pur, qui ne serait que poète,
ne se rencontre jamais sur les routes de ce monde. Pas même au divan.
Ainsi de la poésie à l’état pur, quoi que semblent dire
Enfonçons toujours le même clou dans le même mur. Un poème a, en quelque sorte, deux sens, celui qu’il exprime directement, immédiatement, précisément, et qui est prose :
-l’impur ; celui qu’il respire, si j’ose ainsi dire, et qui seul est poésie : — le pur.
Un second sens, qui, à proprement parler, n’est pas un sens, mais qui est gros des
significations les plus riches ; sens non formulé, non formulable, que
seuls, je ne dis pas comprennent, mais saisissent, palpent, s’approprient soit le poète
lui-même, soit les heureux qui lisent poétiquement. Ce sens inexprimable, que nul jugement
ne peut étreindre comment passe-t-il de l’âme profonde du poète, dans un tissu de phrases
abstraites, de symboles, pour passer de là, et par l’intermédiaire actif de ces mêmes
phrases dans l’âme du lecteur, c’est tout le miracle de la poésie et tout son mystère ; ce
mystère, tout le sujet de nos « éclaircissements ». réactions
scientifiques. — peu de mots nous suffiront : un simple geste, assez mélancolique,
d’admiration confiante, de regret, d’adieu.
Phonétistes, sémantistes, psychologues, psychophysiciens et les autres, non, je ne puis
les suivre dans les laboratoires où ils m’invitent ; ruine de la poétique rationaliste ; esquisse d’une poétique fondée sur les analogies
que je crois pressentir entre le poète et le mystique. un professeur de philosophie
— en passe d’ouvrir à la phonétique des voies nouvelles — est venu me voir au lendemain de
ma lecture.
Visite du serpent à et les fruits passeront la promesse des fleurs, si l’on remplace la promesse par
les, votre plaisir s’évanouit. La phonétique le sait fort bien…
là-dessus, il tire de sa vaste serviette une foule de menus engins et de ficelles dont je
me vois investi sur l’heure, non sans effroi.
Je me rappelais les tortures chez l’oculiste.
Puis il m’a montré sur de larges rubans photographiques huit paires de courbes, vallées et montagnes, comme sur les tracés barométriques : courbes hostiles, m’a-t-il déclaré ; et cela paraissait bien, les quatre qu’avaient données le vers authentique narguant par leur allure paisible les zigzags sursautant du vers massacré.
Je regardais de tous mes yeux, ahuri, mais non sceptique, songeant au fou rire qui prit une de nos sociétés savantes lorsqu’on lui présenta le premier embryon du phonographe.
Pourquoi hausser les épaules ? Ces courbes ont là, nettes, implacables, narguant, elles aussi, le flou de nos sensations poétiques.
Tôt ou tard, une loi quelconque se dégagera de ces expériences précises. Nos faciles plaisanteries n’y changeront rien. Seulement je ne crois pas que cette loi doive balayer l’antique mystère de la poésie, le rendre à la poussière des superstitions vaincues. Ils expliqueront beaucoup de choses que nous ne faisons encore que sentir ; ils n’expliqueront pas tout. Autour de l’expérience poétique, ils laisseront bon gré malgré une frange d’ineffable, un rien de je ne sais quoi ; passerelle aussi ténue que l’on voudra, mais réelle entre l’infini et nous, entre la science et la poésie.
D’ailleurs leur résistance s’exerce moins sur le fond des choses, sur le mystère même de
la création poétique, que sur l’étendue de ce mystère. Bien mieux, on le verra plus loin,
ils nous apportent de précieux renforts. Mais il est naturel qu’ils restent dans leur
rôle, qui est de diminuer de tout leur pouvoir les diverses zônes mystérieuses où nous
poursuivons notre aventure. En devrons-nous être, en serons-nous pour cela moins
aventureux ? Leurs analyses nous empêcheront-elles de nous enfoncer toujours plus avant
dans l’inconnu ? C’est ce que je ne suis pas encore prêt à leur accorder, si je
Au cours d’un remarquable mémoire,
Aussi la précision de sens et d’une signification nette. Un vers peut n’avoir
pas de « signification », et néanmoins ses mots éveillent en nous des « sens » par les
images ou relations plastiques qu’ils évoquent.
on ne doit pas présenter, écrit-il, comme dépouillé de tout
sens un discours où sont entassés des mots aussi évocateurs que « ténébreux », « prince
d’ Aquitaine », « étoile », « luth constellé », « soleil noir »,
« mélancolie… » l’action exercée sur l’attitude mentale est seulement indirecte, tout
comme dans tel vers de Mallarmé, par « angoisse », « minuit »,
« lampadophore… »… etc : c’est très juste. Mais pour la tradition scolaire, il n’y
a pas de sens qui ne se traduise par une signification exclusive, et il n’y a pas de
signification dans un groupe de mots sans enchaînement logique, et sans cette logique tout
pour elle est absurde. — soit ! Reprendrais-je donc, j’accepte que des vers merveilleux
aient cette absurdité, je défie qu’elle les prive de leur pouvoir poétique, et celui-ci
sera même d’autant plus grand qu’ils seront plus chargés de mystère.
Il me met en garde encore contre les fausses suggestions de la musique verbale. Dans une
lettre postérieure, il revient sur le problème : voulez-vous que j’ajoute une
anecdote à la discussion sur « Dupont » et « Maillart » ?
Rendant compte d’une visite à une « star » de cinéma qui se faisait appeler « miss
Dupont », un journaliste américain écrivait : « la (mon distingué correspondant ne croit-il pas que le reporter avait mis là
beaucoup plus d’humour qu’il ne pense ?)
les résistances que j’ai éprouvées ne sont rien auprès des renforts abondants et de tous les ordres qui me sont arrivés des quatre points cardinaux. Nombre de correspondants trouvent même que j’ai été trop loin dans mes distinctions, notamment dans celle de la prose et des vers, la prose s’étant souvent offerte, pouvant toujours s’offrir encore plus librement à la poésie pure.
Cette question des rapports ou différences du vers à la prose est peut-être le problème
qui revient le plus souvent dans les lettres que je reçois. Ainsi on m’écrit de
telle prose n’est pas que le sens ; elle est chargée d’autre
chose ; au-delà des mots et des activités de surface, elle éveille les prolongements
ineffables de la poésie pure…
J’oppose non pas les vers à la prose — opposition qui me paraît techniquement fausse — mais uniquement la poésie au prosaïsme.
La prose d’
France est un grand intellectuel, — écrit ce dernier dans son « maiden »
article de la " revue de France "
(1 er décembre 1925), que tous les connaisseurs auront
trouvé, j’en suis sûr, riche de promesses ;
-l’art est pour lui harmonie et beauté, et non une sorte de communion
mystique de l’homme avec la vie. il entend par là, comme réalisation profonde, dont nous avons déjà tant parlé, et
sans laquelle il n’est pas de halo poétique, pas d’incantation : ses deux
livres les plus réussis, « le lys rouge » et « les dieux ont soif » sont l’expression
tranquille et équilibrée (merveilleusement, mais peut-être uniquement précise, absente,
abstraite) d’un artiste sincère, expression qui risque de se refroidir et de se
figer. si elle doit tôt ou tard paraître froide et figée, elle l’est, dès sa
naissance. Quelque illusion, une autre magie que celle des poètes, nous aura empêchés d’en
discerner le prosaïsme foncier. cependant, il y a tant de divination,
d’intelligence et de curiosité dans ces deux ouvrages qu’ils dépassent le cadre des
œuvres d’art bien réalisées.
France a, d’ailleurs, été parfois plus qu’un artiste… un poète donc ?
Pour moi, je n’en veux pas douter. Mais peut-être seulement un homme d’esprit. " il y a
trois poètes, disait
On me communique une foule de beaux textes, et naturellement en premier lieu de
Mon incompétence, en matière de philosophie technique m’empêche
d’ajouter ici le témoignage des vrais maîtres. N’étant pas sûr de les bien comprendre, je
ne saurais les discuter. Je sais, du reste, que
Avec cela, pourquoi refaire ce qui a été fait déjà, et le mieux du monde.
essai sur
le symbolisme (1904) et l’attitude du lyrisme contemporain
(1911), a montré à quel point le bergsonisme nous aidait à identifier la « poésie pure »,
celle qui va plus loin que le mot qui l’exprime. Aussi me bornerai-je à lui emprunter
quelques-uns des passages dont il s’est lui-même servi avec la plus heureuse finesse, et
je commencerai par celui-ci qui est capital : le mot aux contours bien
arrêtés, le mot brutal, qui emmagasine ce qu’il y a de stable, de commun et par
conséquent d’impersonnel dans les impressions de l’humanité, écrase ou tout au moins
recouvre les
conscience
individuelle. « (essai sur les données immédiates de la conscience, p. 99.) »
essai sur les fondements de la connaissance mystique de
y a-t-il des mots pour exprimer directement les
sensations élémentaires ? Il suffit que chacun puisse se dire à lui-même les
affirmations premières de la conscience soit empiriques, soit morales : ce n’est que par
un travail ultérieur qu’on les comparera en vue de les exprimer
« analogiquement ».
-c’est ce fond du moi, proprement « impensable », qui sera la source de tous
les faits mystiques (p. 38)… etc : si pour la seule connaissance cette synthèse est
nécessaire, à quel point ne doit-elle pas l’être en dehors de la nécessité métaphysique,
vise à
nous faire éprouver ce qu’il ne saurait nous faire comprendre. car l’objet de l’art
est d’endormir les puissances actives ou plutôt résistantes de notre
personnalité, et de nous amener ainsi à un état de docilité parfaite où nous réalisons
l’idée qu’on nous suggère, où nous sympathisons avec le sentiment exprimé. Dans les
procédés de l’art on retrouvera sous une forme atténuée, raffinés et en quelque sorte
spiritualisés, les procédés par lesquels on obtient ordinairement l’état
d’hypnose…
(op. Cit., p. 11.) aussi un correspondant m’adresse-t-il cette phrase
rencontrée mot pour mot à la fois dans on peut ne pas bien comprendre et cependant être
ému. de les mots ont en eux-mêmes et « en dehors du sens qu’ils expriment » une beauté
et une valeur propres…
… je les aime pour leur esthétique personnelle, dont la rareté est un des
éléments, la sonorité un autre…ceux que j’adore sont « ceux dont le
sens m’est fermé », ou presque, les mots imprécis, les syllabes de rêves, les
marjolaines ou les milloraines, fleurs jamais vues, fuyantes fées, « qui ne hantent que
les chansons de nourrices… »
où nous en sommes. — la
victoire du silence (p. 45) : rien ne peut être étranger au poète, si toutefois le
magasin de sa raison reste, « dans l’instant qui le soulève », attaché comme un banc de
coquilles obscures « au fond des eaux ingénues de son âme ». il m’est signalé
encore que la préface de divagations, de je sais, on veut à
la musique limiter le mystère, quand l’écrit y prétend… (p. 288). " la poésie, proche
l’idée, est musique par excellence…
(p. 277) " cette musique aboutissant à « la divine
transposition », pour l’accomplissement de quoi existe l’homme… (p. 121.) puis, au
sujet des efforts convergents de son époque : les écoles… adoptent, comme
rencontre, le point d’un idéalisme qui… refuse les matériaux naturels et, « comme
brutale une pensée exacte », les ordonnant pour ne garder de rien que la suggestion (p.
245).
cette
terminologie quelque peu de hasard atteste la tendance, une très décisive, peut-être,
qu’ait subi l’art littéraire, « elle le borne et l’exempte (p. 245) ». voici un
texte court, plein et limpide. Il est de reliques, de je trouve que la
poésie de Tellier a parfois quelque chose de trop net, de trop visible et
d’un peu sec. L’idée, toujours fine et poétique, y est exprimée avec exactitude, avec
beaucoup de propriété, mais " sans mystère. les mots disent littéralement ce qu’ils
disent et rien de plus " …. etc : cela m’a donné l’idée de reprendre le vieux livre
de
(non. Mais les certitudes où la pensée des poètes-en tant que pensée-nous mène parfois, n’ont qu’un intérêt médiocre).
… et qu’elle est finalement affligeante. La pensée est une
chose sotte et triste (non : abstraite)…le rythme est une chose noble
et grande et participe à la dignité des forces naturelles, dans lesquelles il est
répandu…. etc : quelque chose de divin, non pas seulement chez certains, mais chez tous les poètes, quand ils parlent en
poètes. même chez ceux-et c’est le grand nombre — dans les paroles desquels nous
pensons reconnaître « le jeu des ressorts ordinaires du cerveau », en d’autres termes,
même chez ceux dont on peut mettre les œuvres en « tableaux synoptiques ». Qu’il s’agisse
de
Laissons l’analyse intellectuelle, ne quittons pas le domaine propre de la création
poétique : on l’a toujours reconnue surtout dans les relations nouvelles suscitées par les
images. Mais il faut bien comprendre que la vraie poésie n’est
jamais l’amalgame d’une image et d’une idée, que l’image n’est pas une
simple métaphore ou une allégorie « conscious » (voulue, appliquée). Le poète n’a pas
commencé à se proposer une idée, un principe pour chercher ensuite le symbole qui
l’envelopperait. ( E. Caird, « evolution of religion », i, p. 291.) car
la vraie poésie ne serait pas plus entièrement dans les images mêmes que dans les idées et
dans les mots, elle n’existerait pas sans les « quelque chose d’autre et de mystérieux »
qui les soulève et les traverse.
Je lis aux pages 154, 155 de la poésie de Stéphane
Mallarmé, par
( Mrs Meynell, hearts of controversy, p. 91,92.) " parmi
les nombreux articles qui ont été consacrés à notre débat, il y en a plusieurs qui ne sont
pas de simples chroniques et que je regrette fort de ne pouvoir discuter ici.
Notamment dans les journaux de province : ainsi l’article de Côte-D’Or républicaine, et de
Méridional moi-même, je constate sans étonnement, mais non sans joie, qu’abondent encore
chez nous, de soleil d’oc. ce qu’a écrit le poète
cri de Béziers n’est
pas moins remarquable.
une rencontre de M. H
Bremond et de Marcel Proust. rencontre ? Eh ! Beaucoup plus
que cela. Pendant que je préparais le discours, j’avais constamment devant les yeux les
chapitres mémorables sur la
« (la prisonnière, II, 76.) » rapprochez de ces lignes ce que
la beauté dénuée de signification de la
fille de Minos et de Pasiphaé (p. 193)… « ces vers d’autant
plus beaux qu’ils ne signifiaient rien du tout… (du côté de chez Swann, p.
89.) » ; et sur
or, à l’origine de ces textes contemporains et de leur concordance, nous rencontrons ces
lignes de plus l’art voudra être philosophiquement
clair, plus il se dégradera… plus, au contraire, l’art se détachera de l’enseignement,
et plus il montera vers la beauté pure. " (sur Reynolds.) " nous
rencontrons surtout ce passage, écrit encore plus directement sous l’influence
d’
le silence est l’élément dans lequel toutes les grandes choses
se forment et s’assemblent…, écrit-il. Pour lui la poésie est une
action simultanée du silence et de la parole. Arrêtons-nous un instant sur cette
pensée et distinguons bien l’expression loquace, trop souvent impuissante, de la
contemplation révélatrice.
Deux sortes de démons se partagent l’inspiration des poètes : il y a le démon du silence
— et c’est l’inspiration elle-même ; il y a le démon du vers : celui-ci, bavard divin ou
diabolique tour à tour, le singe, et plus encore, le bourreau de celui-là.
Dans le poème le moins impur, la poésie est d’ordinairement, je ne prie pas Dieu,
écrit une de nos contemplatives françaises, je ne fais que lui adhérer… je suis réduite
à m’expliquer par le mot : oui. Toutefois, il arrive souvent que ce mot, pour n’être pas
assez simple ni assez court, ne me contente plus. Je cherche donc une parole abrégée,
qui puisse mieux
Nombre de vrais poètes parlent néanmoins, ou bégaient, comme nombre de mystiques. Bienheureuse contradiction, ou plutôt bienheureux compromis et fissure maladroite par où nous est entr’ouvert le royaume de l’esprit. Chacun des deux démons que nous avons dits sacrifie à l’autre quelque chose de ses propres exigences.
D’où ce composé paradoxal que tout poème nous présente, ce mélange de pur et d’impur, où la prose et la poésie ont également le droit de se reconnaître.
-ce poème est à moi, dira la prose, l’analyse n’y retrouvera jamais que des éléments qui m’appartiennent, des idées, des images, des sentiments.
-il y a autre chose, répondra la poésie, mais qui vous échappe fatalement, puisque ce quelque chose est inexprimé. Sous le bruit des mots de la prose, une oreille poétique entendra les musiques du silence. Oh ! N’essayez pas de comprendre. C’est notre mystère.
S’il ne vous paraissait pas absurde, vous ne seriez plus la prose. Ces idées, ces images,
ces sentiments, tout ce que vous croyez que da poetam, et sentiet quod
dico. un symbole est le résultat de ces associations et de ce silence mystérieux,
mais jamais ce qu’il exprime ne l’épuise. écoutons c’est par les symboles que l’imagination et sa mystique région des merveilles passent
dans l’étroit et prosaïque domaine et font corps avec lui. « dans le symbole proprement
dit », ce que nous pouvons appeler un symbole, « il y a toujours », plus ou moins
distinctement et directement, " quelque incarnation, quelque révélation de l’infini " ;
par lui, l’infini est obligé de s’unir au fini, de rester visible, et pour ainsi dire de
rester tangible là… l’homme se trouve partout environné de symboles… " tout n’est-il pas
symbole pour le voyant… ?
(
tout d’abord mon âme est remplie par une sorte de
disposition musicale ; « l’idée » poétique ne vient « qu’ensuite ». (cité par
Cassagne, « la théorie de l’art pour l’art », 1906, p. 423.) quand je
m’assois pour écrire une poésie, ce que je vois le plus souvent devant moi, c’est
l’élément musical du poème, « et non pas le concept clair du sujet, sur lequel souvent
je ne suis pas d’accord avec moi-même ». (cité par Thibaudet, « la poésie
de Mallarmé », p. 156).
un poète est un rossignol « qui chante dans les
ténèbres » pour charmer sa propre solitude de ses doux sons ; ses auditeurs sont comme
des hommes ravis en extase par la mélodie d’un musicien invisible, qui se sentent émus
et charmés, mais qui ne savent " ni d’où vient la mélodie, ni pourquoi elle les charme.
(défense de la poésie, " œuvres de Shelley, t. III, trad. F.
Rabble, p. 379.)… etc :
On ne les respirera jamais trop, et l’on verra à quel point elles s’allient heureusement
aux
« on ne peut trouver de poésie nulle part quand on n’en porte pas en soi. »
la poésie construit avec peu de matière, avec des feuilles, avec des grains de sable,
avec de l’air, avec des riens. les mots des poètes conservent du sens, même lorsqu’ils
sont détachés des autres, et plaisent isolés comme de beaux sons. On dirait des paroles
lumineuses, de l’or, des perles, des diamants et des fleurs.
« les beaux vers sont ceux qui s’exhalent comme des sons ou des parfums. »
tout bruit modulé n’est pas un chant, et toutes les voix qui exécutent de beaux airs ne
chantent pas.
« le chant doit produire de l’enchantement. » il faut pour qu’un spectacle
soit beau, qu’on croie imaginer ce qu’on y entend, ce qu’on y voit, et que tout nous y
semble un beau songe. les arts ont pour mérite unique, et tous doivent avoir pour but,
de faire imaginer des âmes par le moyen des corps.
« le beau, c’est la beauté vue avec les yeux de l’âme. » on doit regarder
les arts comme une sorte de langue
entre les
habitants d’une sphère supérieure et nous.
« le poète ne prend de toutes choses que ce qui leur vient du
ciel ».
Si nous arrivons aux environs de 1830, dans la préface de Cromwell, après plusieurs pages sur les conquêtes poétiques du
christianisme, sur les élargissements de la poésie des anciens par l’« influence de la
mélancolie »,
On lit dans l’homme intérieur ne peut se
manifester au dehors ; tout ce qui est en image, discours ou raisonnement « le dénature
ou altère ses formes propres », au lieu de les reproduire. (cité par
Delbos, " figures et doctrines des philosophes, p. 285.) " et dans
« le langage, moyen de la poésie, n’est pas la poésie même… » il manifeste
les pures idées et leurs rapports
intellectuels
ne sont point du domaine de l’« art. » l’art implique l’idée, il est vrai, mais l’idée
rendue saisissable aux sens… la poésie, ce n’est donc pas " Dieu
arbitrairement conçu par l’esprit ", mais la manifestation extérieure de
Dieu, l’univers qu’il pénètre et anime de sa vie… etc : ces
témoignages, bribes entre des centaines, que le romantisme m’apporte sur la poésie pure,
pourraient être rattachés par de multiples fils aux dires des poètes les plus éloignés les
uns des autres, de l’extrême occident à l’orient extrême. N’est-il pas curieux de pouvoir
ainsi rapprocher sur ce point
" (œuvres posthumes.) " et gitanjali (numéro 75) : les mots dont se sert le poète, ils ont plus
d’un sens pour les hommes, et chacun fait son choix… comment d’ailleurs entend-il
ce sens pour lui-même, le poète hindou ? jamais, dans ce temps-là, je n’ai
cherché
ma voix se
contentait d’en saisir l’air, et mon cœur de danser sur la même cadence.
" (gitanjali, 97.) " en des chants immortels je vous ai raconté ; tout le
secret s’épanche à flots hors de mon cœur. ou vient me demander d’en bien dire le sens ;
mais je ne sais comment répondre.
" (idem, numéro 102.) "
(citation d’ émile Le Brun. — « la connaissance. ») on
peut remonter ainsi des contemporains à
Mes citations ne suffisent-elles pas d’ailleurs amplement à montrer une fois de plus que je n’ai rien inventé ? Que je suis d’accord avec tous ceux qui créent ou sentent poétiquement lorsque la fausse raison ne les trompe pas ?
il me semble que vos contradicteurs font en général bon marché
d’un élément essentiel à mes yeux : la poésie ne me touche que lorsque les séries
qu’elle ouvre, — séries d’idées, de sentiments, d’images — restent « ouvertes ».
nouvelle façon-et il n’en paraîtra jamais trop-de dire la même chose. La poésie ne se
dispense communément ni de définir, ni de peindre, mais elle ne s’en tient pas là : sans
cela qu’aurions-nous besoin d’elle ? Définir et peindre, cela est pour elle un moyen, non
une fin, et un moyen qui, seul, ferme tout. Comme la sainte-chapelle, la poésie est tout
en fenêtres, si j’ose dire, sur l’infini, sur l’« informulable ».
Ainsi, jusqu’à un certain point, du vitrail comparé à la mosaïque…
les frivoles me demandent : quand donc finirez-vous ? Et les sages : quand donc commencerez-vous ? Aux premiers, je réponds : bientôt, et aux seconds : pas encore.
Des renforts nouveaux m’arrivent du côté des arts, et c’est un champ immense dont on
n’aperçoit pas les bornes. La question serait à débattre de savoir si la poésie de l’espace n’a pas souffert plus que la poésie du temps du
prosaïsme, du rationalisme isolant de l’idée.
La poésie-peinture, ou sculpture, ou même architecture, nous offrent d’abondants exemples de destruction plastique par la tyrannie de l’ordre cérébral et du sujet. Cette tyrannie y dépasserait peut-être de sa puissance le rationnel dominateur dans le poème de la musique proprement dite et dans le poème du verbe.
Car les arts sont inséparables de la poésie comme la poésie des arts. On n’y pense jamais
littérature, qui est prose, les
envahit également ; ou bien les artistes, trop souvent, qui ne veulent pas être des
littéraires, ne sont que des cuisiniers de techniques : ils perdent le sens de l’art en
perdant le sens de la poésie.
Mais cette poésie dans l’art sera d’autant plus forte qu’elle n’empruntera rien à l’idée verbale, que l’œuvre sera « ineffable » par le langage qui lui est propre. à ce titre, l’expression d’un potier, d’un verrier, d’un ferronnier, peut être d’une évocation aussi prenante et d’une étendue aussi mystérieuse que celle d’un peintre, d’un statuaire, d’un musicien, — tous poètes. Comme j’aurais aimé recevoir des confidences sur l’obscur état lyrique de nos prodigieux artistes du feu dans le plein de leur enfantement ! Et celles de nos musiciens !
Comme elles nous aideraient à pénétrer le sens profond des poèmes du verbe ! Je l’aurais
aimé et redouté à la fois, nos artistes ne pouvant incliner à ces confidences sans le
secours d’un langage qui n’est pas le leur. Rares sont ceux que cela ne fait pas verser
dans un néfaste intellectualisme. Témoin
Après ces justes phrases que je viens de lire sous sa signature : le
contrôle humain me paraît nécessaire pour goûter ce que l’œuvre d’art peut offrir de
divin… le mystère pur, « et recherché systématiquement à l’exclusion de tout détail
terrestre », nous oriente vers des régions défendues…, j’aime que
Picasso se dépeigne lui-même le mètre à la main, mesurant les objets les
plus vulgaires : moulure, verre ou pied de table. Leurs images réelles, superposées aux
architectures abstraites dont le peintre couvre la toile, sont les tremplins que
l’esprit quête pour rebondir dans l’inconnu.
(« nouvelle revue française », 1 er fév. 1926.)
ainsi le « contrôle humain » s’entendrait du prosaïsme le plus plat ; et l’« inconnu »,
d’une abstraction qui nous jetterait hors du tableau, hors de toute plastique. Ces
commentaires sont des types parfaits de « littératurite » à propos d’art.
Deux peintres l’ont évitée en m’écrivant des lettres très simples. Ils ne cherchent qu’à
distinguer le véritable langage de la peinture, et tous deux s’accordent à reconnaître,
sous des sangles divers, qu’à partir d’une certaine acuité l’émotion qu’il nous transmet
échappe à toute explication rationnelle. poésie et peinture relèvent, sous
des aspects différents, de lois identiques, m’écrit de je commencerai par une vérité de La Palisse,
mais ces vérités sont toujours bonnes à dire, aujourd’hui plus que jamais : « la
condition “sine qua non”, d’une peinture est d’être picturale ; celle d’une poésie est
d’être poétique ». Le sujet, auquel tant de personnes insensibles aux grandes cadences
assignent la première place (et qui peut l’avoir du point de vue religieux ou
social)
Il nous suffit que ce terme de musique soit parfait dans l’expression l’un par l’autre du temps et de l’espace ; il se comprend d’autant mieux qu’on ne le précise point, qu’on peut l’appliquer à toutes les valeurs de la composition.
Dans la question du « sujet », plastique, déterminé par un choix des formes-dans ce choix le rôle de
la raison est important, et le sujet proprement cérébral fourni par une
anecdote qui peut être indifféremment artistique ou littéraire, poétique ou prosaïque,
avec laquelle la raison prend une initiative abstraite, séparée, fort dangereuse pour
l’art qu’elle prétend servir.
L’idée plastique n’est pas moins un sujet que l’idée anecdotique : le point capital est qu’elle ne soit pas simplement greffée sur l’autre, qu’elle en puisse être entièrement indépendante.
Il faut qu’ensuite la liberté de notre sentiment à la traduire soit aussi complète.
j’ai connu un jeune homme plein
de goût qui, avant de jeter le moindre trait sur la toile, se mettait à genoux et
disait : « mon dieu, délivrez-moi du modèle. » on ne saurait trop presser le sens
de cette petit histoire.
la deuxième lettre que je reçois d’un peintre m’arrive de externe ; sa philosophie, toute
intérieure, n’est que l’âme de son art, elle fait corps avec lui. vos idées,
m’écrit-il aimablement, quelques-uns des témoignages que vous apportez, vos formules et
surtout l’esprit dans lequel est menée votre enquête, coïncident merveilleusement avec
ma propre évolution, commencée il y a plus de deux ans.professeur, j’ai voulu enseigner
l’histoire de l’art… etc :
(c’est moi qui souligne cette observation capitale) en un mot, tout ce qui
dépasse le travail de bon élève, tout cela est d’ordre mystique… quels sont les rapports
de cette mystique avec la mystique religieuse ?… c’est là un sujet difficile et que
nous ne pouvons aborder encore. Je retiens seulement une indication très précieuse, et qui
rejoint ce que j’ai essayé ailleurs d’expliquer sur le caractère profondément religieux du
mouvement romantique. dans une histoire curieuse et rare du " paysage en
France " par Georges Lanoe et Tristram Brice,
se trouve soutenue la thèse que voici : le grand mouvement religieux du
(novembre 1925), nous, veux-je dire, qui avons ou dépassé ou évité l’étape du livresque,
du notionnel, de l’irréel, ce deuxième état dont notre peintre va vous
entretenir. j’ai commencé une sorte d’« introduction à l’esthétique
appliquée ». J’écrivais jadis, au début de ce travail, que je rejetais de mon domaine la
littérature, même la poésie ; parce que, disais-je, la poésie, même la plus poétique…,
ne peut contenir le beau à l’état pur, obligée qu’elle est d’employer des mots et des
phrases, dont l’essence est analytique et donc abstraite… etc : notre correspondant
veut-il bien me permettre de détendre, d’aérer un peu ce beau raccourci ? Ce que l’on aime
poétiquement dans un poème, ce n’est pas précisément « le son et l’image synthétique » ;
beaucoup moins encore l’image, car celle-ci n’est pas, comme le son, indispensable à la
poésie.
Ce qui est synthétique, ce qui se distingue d’une perception analytique, notionnelle,
morcelée,
Le son, pris en soi, ne nous unirait à aucune réalité. Combien de lecteurs, qui entendent
la musique des vers et qui n’en restent pas moins dans un état prosaïque ! Cette musique,
néanmoins, est d’une telle nature, qu’à la manière d’un sortilège, elle provoque
directement, dans l’âme profonde, non pas de tout lecteur, mais de quelques-uns, cette
expérience de réalisation, d’union au réel. Or, de ce point de vue, —
comme de celui proprement technique de
Il y a dans une page de
Voici, maintenant ramassés en quelques lignes, la douzaine d’éclaircissements que je
ruminais : je pressens que vous allez aborder cette question : les simples et
la poésie… eh ! Oui ! Mais, de divers côtés, on me l’escamote. Ainsi, la poésie pure à…
Tahiti (figaro littéraire du 19 décembre).
1 er état. Synthèse brute. Fusion et confusion des
facultés non encore différenciées " (stimmung) " ; possibilités dans le domaine
désintéressé : sentimental, poétique, religieux, mystique. Les simples, les enfants. Les
poètes, les artistes : de grands enfants.
2e état. Analyse, différenciation des facultés. … etc :
Il blesse toute une catégorie de très honnêtes gens, beaucoup plus humains, beaucoup plus ouverts à la vraie poésie que tels autres, parmi les mandarins qui les traitent de si haut.
« intellectuel », qui n’est pas bon non plus, vaudrait pourtant mieux. Un nom propre ne
ferait pas l’affaire : la tête de turc que l’on choisirait serait trop ridiculement
chétive pour devenir un épouvantail national. Ah ! Si
3e état. Synthèse consciente : il faudrait une formule plus juste. Retour,
mais non régression aux possibilités désintéressées de l’enfant ; science profonde
aboutissant à savoir qu’on ne sait pas, et à s’incliner devant l’ineffable ; perception
des ensembles ; impulsions de nature mystique, vivifiant, coordonnant, cristallisant,
unifiant les éléments épars de la science analytique…. etc : il y a plaisir à
suivre ces réalisations laborieuses, à voir s’imposer ainsi à l’intelligence solitaire
d’un peintre philosophe, cette distinction entre l’esprit et l’âme, qui, sous une forme ou
sous une autre, occupe aujourd’hui tout homme qui pense, à l’exception de qui vous savez.
Il finit par une petite ligne aux perspectives innombrables. nombreux points
de contact possibles (j’eusse dit de souterrains ou d’escaliers) entre le premier état
et le troisième ; aucun entre le troisième et le second ; ni, me semble-t-il, entre le
premier et le troisième. ces nombreux rapprochements entre le premier et le
troisième, l’évangile les a marqués avant nous : " si vous ne devenez semblable aux
enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume de histoire du sentiment religieux).
tout se tient, qu’on le veuille ou non ; tous les intellectualismes, tous les pharisaïsmes
sont frères.
Mais, pour ne parler ici que de poésie, ne retrouvez-vous pas chez nos symbolistes une
heureuse tendance à fuir les formalismes desséchants du second état-le picturisme parnassien ; la rhétorique classiciste dont les romantiques n’avaient
pas su se défaire-et à renouer le contact avec la poésie des simples ? Relisez là-dessus
un des manifestes symbolistes, le livre de la poésie populaire et le lyrisme sentimental. lisez de même le livre charmant de
l’ile des bardes (nouvelles littéraires, 14 novembre 1925). Au fond, que demande
Mais une quarantaine moins hérissée que ne semble le vouloir notre peintre-philosophe.
Une quarantaine, qui invite ces malheureux ou bien à rétrograder doucement vers la demeure des simples, qu’ils n’auraient jamais dû quitter, ou bien à s’élever peu à peu jusqu’au réalisme supérieur-poétique, philosophique et religieux — du troisième état. Soyons bons — j’écris ce mot une dernière fois-pour les primaires. Nous sommes tous primaires, hélas !
Par quelque côté, et toujours menacés de le redevenir. Tout poète a dans son cœur un
classiciste qui sommeille, toujours près de se réveiller ; tout critique, un
tandis que le témoignage des artistes élargissait encore nos ailes, la résistance des savants était loin d’augmenter comme je m’y attendais.
Je croyais que d’un poids toujours plus lourd ils me retiendraient au sol, mais tout au contraire, cette résistance même donne à notre élan toute sa force, elle en facilite le départ. C’est une résistance d’appui.
Une des tartes à la crême de la critique pendant la dernière moitié du eknock-out. mes correspondants me démontrent se tomber, elles ne le cherchent pas d’ailleurs, elles en ont assez,
elles se cramponnent, et l’on ne sait plus si elles combattent encore ou s’embrassent.
Toutefois, faisons attention, elles restent des rivales : elles n’ont ni mêmes formes, ni même structure ; l’embrassade ne pourrait-elle finir par un mutuel étouffement ? Il y avait de cette crainte dans ma dérobade aux invites de nos expérimentateurs, de la prudence dans la confiance. Or, il semble bien que la confiance doive être entière. Nos vrais savants reconnaissent à la poésie son droit à la vie, en certains cas à la victoire, par le fait même qu’ils croient découvrir les causes psycho-physiologiques précises dont ils veulent faire dépendre sa force et sa beauté-précisions qui ont ceci de particulier de n’être jamais limitatives.
C’est ainsi que tous ceux qui ont bien voulu s’intéresser à notre débat entendent les choses.
La science authentique, plus elle tend à épuiser le connaissable, le mensurable, le formulable, moins elle se flatte de tenir la
raison dernière de quoi que ce soit. Aucun de mes correspondants n’a trouvé ridicule notre
orientation raisonnée vers le mysticisme. De notre côté nous sommes loin de nous refuser
aux disciplines scientifiques ! Elles n’arrêtent pas d’ailleurs l’analyse spirituelle : où
finit-elle exactement, et où commencent les autres ? Je les
Quelle que soit aussi la technicité des recherches vertigineuses, prodigieusement neuves
du R. P. style oral (archives de philosophie,
Mais deux communications doivent particulièrement nous retenir au cœur du problème.
Revenons d’abord au mémoire de l’art, écrit-il, est un
phénomène « collectif », l’établissement d’états de conscience communs chez un
certain
« succèdent » autour d’une œuvre. les arts dynamiques sont caractérisés parce que
l’élément « temps » intervient dans le plan…etc : je suis bien au
regret d’avoir dû tailler et couper à travers la magnifique dissertation de
l’opposer à
une conscience « en chair », et comme vide, par rapport à un « travail profond ».
Tant que ce travail est profond, comment serait-il véritablement
conscient ? Et comment la clarté ne serait-elle pas la fleur extrême de toute
conscience ?
On perd ainsi à vouloir entrer trop tôt dans l’état conscient tous les avantages créateurs du « complexe primitif » et de ses associations ineffables. On court le danger de trop dissocier, et à faux, les éléments de l’élaboration poétique.
Je n’accorde pas à tout s’allie et se forme et tout va naître
ensemble. sans quoi l’action poétique et l’action mystique n’auraient rien de
commun, — ce qui serait contraire à la conclusion même de ce pénétrant philosophe.
avec psychodynamique générale.
en m’envoyant le manuscrit de cette véritable somme encore inédite, l’auteur veut bien me
signaler « la convergence, le recoupement de nos thèses respectives ». La sienne fut
préparée par des « lettres à l’académie des sciences » que présenta
" il semble toutefois certain que, dans cette " collaboration paradoxale (celle de l’âme
et du " corps), les mots n’agissent pas seulement et " d’abord en vertu de leur beauté
propre, pittoresque " ou musicale. nous nous offrons à ces " vibrations
fugitives, si exquises d’ailleurs que " soient leurs caresses, non pour goûter le "
plaisir qu’elles donnent, mais pour recevoir " le fluide mystérieux qu’elles
transmettent…
" contagion, ou rayonnement, dirai-je, voire " création ou transformation magique, par où " nous revêtons, non pas
d’abord les idées ou " les sentiments du poète, mais l’état d’âme « qui l’a fait poète… »
et les dernières lignes ne sont pas oubliées sur la poésie qui rejoint la prière.
Voici donc intrépidement adoptés par un « scientifique » pur les passages même qui ont le plus exaspéré les attardés du rationalisme.
des éléments esthétiques, c’est-à-dire
des éléments agissant sur nos systèmes nerveux par un dynamisme « irradiant » d’effluve.
la logique, la raison est une force psychique dont le dynamisme est « impulsif », (au
sens mécanique), la morale par éléments de sympathie, est une autre force psychique dont
le dynamisme est « inductif »
(au sens électro-technique)… etc :
Cependant, bien que la poésie soit à la base de toute esthétique,
L’appui que nous donne l’auteur n’est pas moins considérable, puisqu’il a séparé la logique et la raison de l’intelligence proprement dite, qu’il associe l’entendement à l’imagination.
Mais pour bien comprendre la qualité et le rôle différents qu’il leur attribue d’ impulsion, d’ induction ou d’
irradiation, il faut connaître a posteriori, d’autant plus intéressante pour nous qu’elle serait dans son
ensemble cartésienne et mécaniste.
Comme l’existence d’un domaine psychique où sont possibles des transformations
essentiellement inaccessibles aux méthodes de la science…, le sanctuaire où il n’est
permis d’accéder qu’en suivant le dédales de l’introspection, où la logique déductive
doit s’incliner devant les grandes révélations de cette « vue directe de la vérité », de
cette « expérience supra-sensible », de cette « lumière naturelle » qu’on appelle
aujourd’hui l’« intuition. » mais il ajoute : à cela près, — qui n’est
pas une fissure-notre synthèse, basée sur des « faits scientifiques » et non des
explicatif
s’étendant à l’intégralité des forces et des phénomènes de la nature, sans en excepter
les faits du domaine de la psychologie, notre point de départ ayant été la recherche
algébrique d’un « théorème d’unification ».
Il part donc d’un monde qui occupe lignes, figures à 1
dimension : longueur, les surfaces, figures à 2
dimensions : longueur, largeur, les volumes, figures à
3 dimensions : longueur, largeur, hauteur (ou profondeur) ; translations, (ou vibrations)
mouvement, à 1 dimension, à caractère d’ impulsion, les rotations, (ou oscillations) mouvements à 2 dimensions, à caractère d’ induction, les déformations élastiques, (dilatations, pulsations
radiales, flexions ou torsions) mouvements à 3 dimensions, à caractère d’ expansion, et conséquemment trois qualités dans toutes les catégories de
phénomènes, ceux-ci devant être considérés, avec
L’auteur aboutit ainsi à fonder sa psycho-dynamique sur le trimorphisme et le tricinétisme universels, déterminés par les multiples
manifestations énergétiques de la substance immatérielle où nous serions plongés qu’est
l’ éther sidéral dont il demeure partisan convaincu. l’éther prendrait un état « solide », à structure cellulo-réticulaire éminemment
vibratoire ; un état « liquide », à structure gyroscopique éminemment rotative ; un état
« gazeux », à structure disloquée éminemment expansive. tourbillon d’éther est constitué par une combinaison quelconque de ces
trois états.
Vraies du physique en général, ces conceptions ne le seraient pas moins du physique et du
psychique humains étroitement liés aux résonances des nerfs sensitifs et
moteurs. l’auteur y parvient en aboutissant à la psychophysiologie,
cette suprême catégorie des sciences biologiques, par toutes les séries ininterrompues des
sciences géométriques, des cinématiques et des physiques, et en retrouvant dans chaque
catégorie les figures à trois dimensions du mouvement spatial. en
« stéréodynamique », par exemple, le passage de l’état solide à l’état liquide, ou
vice-versa, a lieu par voie de résonance de « vibration-rotation » ; il en est de même
pour le passage d’un état allotropique à un autre. Le passage de l’état liquide à l’état
gazeux, ou vice-versa, a lieu par voie de résonance de « rotation-expansion »…
etc :
biodynamique à la physiologie où, d’un tourbillon vital d’éther, par la
prépondérance de l’éther gazeux naîtraient et agiraient divers organes, les uns et les
autres créateurs des sens, et, par leur entremise, des sensations. ces sensations obéiraient : les unes, par le toucher, par l’ ouïe à des modes de vibration,
correspondant, comme les courants galvaniques de conduction ou comme la chaleur sensible,
à des mouvements longitudinaux de translation ; — auxquels se
rattacheraient, au degré psychologique individuel, les émotions, les réflexes ; au degré philosophique, l’action extérieure de la volonté, c’est-à-dire l’ autorité exercée et subie ; les
secondes, par le goût, à des modes de rotation
correspondant, comme les flux d’ induction magnétique ou comme la
chaleur latente, à des mouvements de conservation ; — auxquels se
rattacheraient, au degré psychologique individuel, les phénomènes de la mémoire, des habitudes, des instincts ; au
degré philosophique, la sympathie, base de la morale ;
les troisièmes, par la croissance, la génération, la
vue (l’auteur donne aux yeux des pouvoirs déformation
élastique, correspondant, comme les effluves électrostatiques ou comme la chaleur
rayonnante, à des mouvements de distorsion transversale et d’ expansion volumique ; — auxquels se rattacheraient, au degré
psychologique individuel, en même temps que les jugements et les conceptions, les sentiments et les intuitions ; au degré philosophique, avec l’ éducation, tous les
faits esthétiques, tous les faits éminemment psychiques et religieux, les faits de création. la manière est remarquable dont
Il me semble toutefois que sa terminologie n’est pas toujours très sûre, et qu’il pourrait être dupe sur certains points de simples analogies.
Puis il ne peut être question de transcrire ici les preuves qu’il tâche d’apporter ni
d’en démêler la valeur. Mais la théorie fondamentale que je viens très sommairement de
impulsion rectiligne donnée au dynamisme de la logique, d’une toute autre nature
que l’ expansion rayonnante, irradiante du dynamisme poétique, — l’éther
jouant pour l’auteur le rôle de mon « fluide mystérieux », qui, (dans une analogie
d’ailleurs trompeuse) s’apparenterait ainsi à la « matière subtile » de
Voilà comment un mystique pourrait être un cartésien qui s’ignore. Ah ! Quelle gratitude ne dois-je pas témoigner, pour cette révélation, à mon savant correspondant !…
-« mais laissez donc là ces outils ! », me disaient les bonnes gens, « vous n’en finirez jamais… un homme de sentiment n’est pas un terrassier… il a des ailes… qu’il les étende, qu’il s’enlève, et tout obstacle, dominé, a disparu… » les amis sont terribles. Je goûte fort la malice de cette objurgation sympathique. Mais elle provient d’une erreur dangereuse, qui est de croire que le sentiment n’a que faire des outils de la logique courante, qu’il doit les dédaigner parce qu’il en connaît l’impuissance finale, qu’au surplus il ne saurait pas les manier, puisque le propre de sa nature est de se suffire à elle-même.
Non ! Personne ne peut se passer du travail manuel, et la logique est d’autant plus forte
que le sentiment en est le conducteur. Lui seul inspire les arguments,
il en est l’âme, et ce sont eux qui, abandonnés à eux-mêmes, travaillent tout de
travers.
Comme l’oiseau, d’ailleurs, il n’est pas tout en ailes, il a aussi des pattes, et c’est de leur prise qu’il s’enlève.
Surtout quand on aborde le côté mystique des choses, on ne saurait trop user de toutes
les armes de la raison. On ne supprime pas le mur qu’elle a construit, pour l’avoir
survolé, on ne le supprime pas pour ceux qui restent à terre, ceux qui ne se fient qu’à
leur esprit. Distinguons bien d’abord les moyens rationnels des sentimentaux,
employons-les bien ensuite contre l’obstacle qu’ils ont dressé, c’est alors seulement que
l’âme doit
Dans ma lecture à l’institut, et depuis le début de ces éclaircissements, dans chacun des précédents chapitres, j’ai cherché à rendre
toujours présente la différence profonde de l’esprit et de l’âme, puis j’ai montré la
nécessité de leur accord contre les obstructions que l’on doit à l’une des facultés trop
exclusive de l’esprit, celle de l’analyse rationnelle, si limitée lorsqu’elle s’applique à
ce qui comporte tant d’inconnu et d’infini : l’œuvre d’art.
Il me faudrait maintenant aborder la conclusion de mon discours et prouver comment la
poésie peut aboutir à la prière. Mais il m’a paru que le sujet débordait le cadre de ces
éclaircissements ; je l’ai donc traité à part dans le petit volume des
« cahiers verts », annoncé en commençant, qui paraît en même temps que celui-ci.
Je finirai seulement sur quelques lignes qui nous serviront comme de passage du profane au sacré.
Tandis que j’écrivais, on me remit un jour l’ouvrage posthume de mgr
l’église au VI. j’ai couru au chapitre sur les églises
" enfin e
Nul ne le sait. Ainsi en est-il de l’homme. Il apparaît pendant une courte vie, mais d’où
vient-il, où va-t-il ? Mystère… si les hommes de
… eux aussi, les poètes, je l’espère, du moins fermement, « peuvent nous apprendre quelque chose à ce sujet ». à qui s’étonnera que je me sois attardé à nos « éclaircissements », je ne ferai pas d’autre réponse.